Accueil du site > Nos luttes > Les "Gnafron" du Rhône : une belle brochette de guignols (...)
Moins drôle que le véritable théâtre du Guignol lyonnais, le coup d’envoi du spectacle orchestré par la préfecture du Rhône, en coproduction avec les services de la PAF a été donné courant février 2006. On notera la participation active, toujours inventive et zélée des différentes polices et celle, moins assumée, de quelques grosses associations dûment pressenties comme auxiliaires du Ministère de l’Intérieur. Tout ce petit monde se retrouve donc dans une interprétation collective et concertée du rôle de Gnafron, somme toute assez fidèle. En l’espèce, si on ne peut affirmer que ce dernier ait un coup dans le nez, au moins peut-on dire qu’il ne se gène pas pour en distribuer sur celui des autres.
Guignol, avec sa légendaire ironie sarcastique, n’est pas personnifié dans ce nouvel épisode de la pièce qui commence. Cependant, on le retrouve sans majuscule dans l’interprétation de chacun des acteurs issus d’un casting déroutant organisant la répression : non seulement les Gnafron sont légion, mais ils sont joués par des guignols…
Ignorance ou mauvaise foi ? En préalable, rappelons que comme depuis deux ans, les mises en cause pour violence des services de police formulées par CABIRIA ainsi que par d’autres associations de terrain sont toujours rejetées par le Gnafron en chef sur l’air de « un tel dysfonctionnement n’a pas pu avoir lieu » et de « les fonctionnaires de police sont régulièrement agressés dans leur travail ».
Pourtant, au regard du quotidien aux côtés des femmes migrantes rencontrées, voici ce qu’on constate à Lyon, rejoignant ainsi les récentes conclusions du rapport de la CNDS (). On distinguera dans un premier temps les méthodes des Gnafron de tout poil à l’encontre des femmes migrantes sur le terrain ; puis l’on s’intéressera à leurs confrères de l’administration. Les us et coutumes n’étant pas identiques, l’objectif répressif est quant à lui remarquablement partagé par les premiers comme par les seconds !
Sur le terrain et dans les commissariats. N’en déplaise à Gnafron, tandis qu’en 2005, près de 400 interpellations pour racolage ont été observées par l’association, les chiffres officiels ne dénombrent que 224 interpellations. Ce qui nous fait dire que les services de police procèdent trop souvent à des arrestations en dehors de toute procédure. Durant ces « arrestations qui ne laissent pas de traces », il est évidemment encore plus difficile pour les personnes de faire valoir leurs droits. A l’inverse, les violences policières sont alors plus faciles à nier pour les autorités puisque officiellement aucune infraction n’a été constatée.
Pourtant, rien qu’en 2005, on ne saurait compter le nombre de femmes migrantes interpellées sur la voie publique pour « racolage » en dehors du cadre légal : menottage et arrestation digne de Starsky & Hutch, absence d’interprète pouvant faire connaître à la personne les raisons de son arrestation, fouille au corps pratiquée à nu devant des policiers qui se rincent l’œil, humiliations et insultes racistes, qualification de racolage fantaisiste (la personne est arrêtée au bas de chez elle, alors qu’elle n’est pas en train de se prostituer par exemple), vols, etc.La trilogie des femmes migrantes : GAV CRA PAF
Une autre fois, c’est une jeune femme qui est interpellée dans le métro, alors qu’elle présente un ticket valide. Lors du contrôle, les policiers découvrent que son dossier d’asile a fait l’objet d’un rejet non définitif puisqu’un recours a été déposé devant la commission des recours. De plus, elle présente spontanément sa datation de grossesse, en sachant qu’une mesure d’expulsion n’est pas possible après 7 mois. Néanmoins, les flics la collent en garde à vue pendant 36 heures. Elle est ensuite transférée au centre de rétention pour encore 36 heures. Lors de sa remise en liberté, la PAF l’intercepte à sa sortie du centre pour la conduire au poste de police de l’aéroport. Lorsque nous appelons le poste de police pour demander des nouvelles et dire que nous l’accompagnons pour ses démarches administratives et de santé, on nous répond « cette personne n’est pas chez nous ». En définitive, elle sera relâchée après trois jours d’enfermement et de privation lui faisant courir un grand risque pour sa santé. En effet, n’ayant pas été autorisée à prendre son traitement en garde à vue, son état de santé s’est rapidement dégradé. Elle a du être évacuée à l’hôpital au cours de la soirée. Au cours de ces examens, elle sera menottée sur le lit d’hôpital et les policiers resteront présents durant la consultation en faisant pression sur les soignants pour qu’ils minimisent leur diagnostic. Au final, aucun certificat médical ne lui sera délivré à l’issue de l’intervention ; contre l’avis du médecin, les policiers refuseront le maintien en observation pour la nuit ; lors de son transport, elle aura les poignets attachés au sol du véhicule, ce qui est une position très ergonomique pour une femme enceinte qui présente certainement un grand danger pour les fonctionnaires de police. Sous le masque de ce bon vieux Gnafron se cache mal le visage du sadique zélé qui jouit de son pouvoir béni par les autorités avides de résultat quel qu’en soit le prix.
Même s’il n’y a vraiment pas lieu de surestimer les capacités comme les intentions des policiers en matière d’égards relatifs au confort des personnes arrêtées, on note clairement une escalade dans l’intensité et la fréquence des violences causées par la police. En particulier pour les personnes étrangères interpellées.A la préfecture : la chasse à l’étranger. Le service asile de la direction de la réglementation n’est pas en reste question guignoleries. L’interprétation des textes en fonction du sens du vent – en l’occurrence vers la droite de la droite– va bon train. On peut cependant saluer la formidable cohésion dont font preuve pèle-mêle fonctionnaires, agents de la fonction publique et associatifs agréés : ils sont de plus en plus à se prendre pour des flics. Voyons quelques exemples significatifs :
La demande de réexamen. Prévue par les textes, elle permet, en résumé, à une personne en demande d’asile de faire procéder à un nouvel examen de sa situation, moyennant la production d’un élément nouveau. Pratiquement, il lui faut alors envoyer un courrier présentant son nouvel élément à la préfecture pour que cette procédure s’engage. Il ne lui reste alors qu’à attendre un courrier de la préfecture lui indiquant la suite donnée à sa demande de réexamen. Depuis le 25 avril 2005, une circulaire complète ce cadre en donnant des instructions aux préfectures. Ainsi, il est explicitement indiqué que, concernant ces demandes de réexamen, le recours à la procédure prioritaire doit rester exceptionnel et doit satisfaire aux cas prévus par la loi. Pour 2005, la moyenne nationale des demandes de réexamen instruites en procédure prioritaire a été de 72%.
Un an après la circulaire du 25 avril 2005, 100% des demandes de réexamen déposées par des personnes accompagnée par CABIRIA ont été classées en procédure prioritaire par la préfecture. Cela représente environ 75 dossiers pour lesquels non seulement l’examen au fond est accéléré (réponse de l’OFPRA en 5 jours), mais surtout les personnes relèvent d’un statut de « sous-demandeur d’asile » qui rajoute de la stigmatisation là où il y en avait déjà trop. Sous-demandeur d’asile du fait de la procédure prioritaire qui prive le requérant d’une quelconque autorisation de séjour : concrètement, la personne ne peut justifier de son identité et de sa qualité de demandeur d’asile qu’au moyen de la lettre de la préfecture, lui notifiant les motifs de la procédure prioritaire.
Or, sans autorisation de séjour, pas de droits sociaux, ni de couverture sociale de droit commun.
Abus. Toujours à l’affût du moyen de prouver une prédisposition à demeurer le roi des gnafron-ctionnaires, on nous écrit, sans rire, dans chacune des lettres, qu'on « considère la demande comme un recours abusif ». Sans doute soucieux de faire bénéficier autrui de son raisonnement lumineux et imparable, on invoque que la demande a déjà été examinée par les autorités. Franchement, nous ne pouvons que rester pantois devant une telle démonstration de clairvoyance : demander un réexamen de sa situation est abusif car elle a déjà été examinée auparavant. On ne fait pas plus limpide.
Enfin, pour couronner le tout et renforcer la stigmatisation par l’humiliation, la lettre de la préfecture fait apparaître tout un tas de raisons avancées par le préfet et concluant souvent au caractère abusif de la demande de réexamen. Imaginez un peu l’effet produit lors d’un contrôle d’identité et que le seul papier que vous ayez vous présente, historique à l’appui, comme quelqu'un de malhonnête. En revanche, ce même papier oublie de préciser explicitement que la personne est en situation régulière en France tant que l’OFPRA n’a pas statué.
Conséquences. Parmi tous les problèmes que pose la précarité de cette situation de surenchère stigmatisante, il en est un particulièrement regrettable et kafkaïen qui a pour décor le bureau de poste. Pour mémoire, comme on l’a dit plus haut, la personne adresse sa demande à la préfecture et attend la réponse. Pendant cette attente, la personne n’a aucun titre de séjour et ne conserve que l’avis de réception du courrier en recommandé qu’elle a envoyé initialement. Cette réponse lui est adressée en recommandé, et comme tout recommandé, on lui demande une pièce d’identité pour lui remettre son courrier. En clair, pour retirer cette lettre qui contient son seul document d’identité, on lui demande de produire … un document d’identité. C’est à se demander qui abuse qui … ?Discrédit. En plus de tous les effets de ce contexte de répression et d’arbitraire – dont la plupart sont dénoncés depuis longtemps par CABIRIA – on observe un discrédit total des autorités publiques en général et de la police nationale en particulier. En effet, devant la multiplication des abus policiers, ils apparaissent comme un ensemble dont il faut se tenir éloigné non seulement pour poursuivre son activité prostitutionnelle, mais pour survivre. Pour être clair, l’action des services de police à l’encontre des femmes migrantes sur les trottoirs lyonnais sème un climat de terreur et contribue à leur mise en danger. Dans ces conditions, la police n’a plus aucune crédibilité. Un exemple récent illustre cette situation. Un homme accusé d’avoir violé au cours de l’année près de 10 femmes a été arrêté par la police. Parmi ses victimes se trouvent 4 personnes migrantes prostituées que nous connaissons. A la recherche de témoignages pour étayer le dossier à charge contre cet homme, les policiers ont fait savoir qu’ils souhaitaient recevoir les personnes concernées. Seule l’une d’entre elles a accepté de déposer plainte. Les autres, même lorsqu’elles ont des papiers, n’ont pas voulu rencontrer les policiers parce qu’elles n’ont pas confiance. Et le bourgmestre ? Dans le sillage de cette farce mettant en scène la droite décomplexée, la gauche lyonnaise trépigne en coulisse pour occuper le devant de la scène. Pas question de s’asseoir sur son irrésistible envie de pavoiser elle aussi avec son costume de Gnafron… En effet, la mairie socialiste des Gaule avait déjà pondu un splendide arrêté anti-prostitution en 2002. Et pas n’importe quel arrêté municipal, braves gens : un arrêté municipal socialiste ! damant ainsi le pion à la droite et l’usage qui sera fait de sa loi sur le racolage. Trois ans plus tard, voici de nouvelles initiatives pour remettre 100 balles dans le piano en créant le scintillant GOM (groupement opérationnel mobile). Présenté comme un instrument supplémentaire pour assurer la « tranquillité », il est permis de s’interroger quand on voit l’allure de ces équipes de choc : véhicules aussi flambants neufs que tape-à-l’œil, tenue paramilitaire des personnels « triés sur le volet ». Quant au mode opératoire, cela relève davantage d’une sorte de Vigipirate couleur locale que d’une police de proximité. On progresse : administrés à la fois par des fonctionnaires et par des agents municipaux, les coups de matraque vont certes s’intensifier mais ils auront parfois le raffinement de la gauche caviar.
Clément Pluchery