Historique de l’association
Cabiria : une action de santé communautaire
Contexte
Les associations de santé communautaire sont nées dans les années 90, dans le contexte de la lutte contre le sida. Jusque dans ces années, le traitement de la prostitution était défini par les ordonnances de 60. Elles organisent la lutte contre la prostitution, considérée comme " un fléau social ". Cette lutte comprend un volet répressif, sur lequel nous ne reviendrons pas et un volet social, qui donne le cadre des conditions à mettre en place en vue de la réinsertion des personnes prostituées et leur sortie de la prostitution. Selon les ordonnances de 60, les prostitué-es sont considéré-es comme des victimes à qui il faut donner les moyens de la prise de conscience de leur situation d'oppression afin de les aider à s'en sortir. On est ici essentiellement dans un traitement psychosocial de la prostitution, avec des visées de réinsertion des personnes prostituées dans la vie professionnelle. Ces structures mises en place, en France, s'articulent autour de cette philosophie de l'action sociale, dans un contexte où le proxénétisme est important. L'aspect de la santé ou de la prévention des IST n'est pas particulièrement envisagée, en partie en réaction au système antérieur, réglementariste, qui se contentait d'organiser le contrôle sanitaire de la prostitution.
Une rupture dans la prise en charge de la prostitution : irruption de l'épidémie à VIH
L'arrivée de l'épidémie à V.I.H. vers la fin des années 80, a marqué une vraie rupture dans l'approche de la prostitution. Notons également que, entre les années 60 et 80, la lutte contre le proxénétisme en France a porté ses fruits.
En 92-93, un certain nombre de projets sont nés à Paris, à Lyon, à Marseille, puis, à Nîmes et à Montpellier ainsi que dans les comités AIDeS. Ces projets étaient initialement soutenus par des associations comme l'A.N.R.S, à Paris ou un comité de pilotage associatif, à Lyon, ou bien par les associations comme AIDeS, à Marseille. Petit à petit, ces projets se sont autonomisés en s'appelant "Projets de Santé Communautaire". Actuellement, il y a sept projets en France, construits sur le même modèle et avec des variantes.
L'idée qui a sous-tendu notre manière de travailler est inspirée de l'approche communautaire développée par AIDeS dans la lutte contre le sida. Nous nous sommes aperçus que pour pouvoir mener une action de santé, une action de prévention des M.S.T., du V.I.H. et des hépatites, il était important de travailler sur la question identitaire avec les personnes. C'est ce qui est fait en milieu homosexuel, et qui porte ses fruits en ce qui concerne la diminution des contaminations dans ce milieu. A ce propos, les recherches et écrits de Michael POLLACK ont été une ressource importante. Le parallèle avec le milieu gay nous permet de constater que les ordonnances de 60 rangeaient aussi l'homosexualité au rang des fléaux sociaux à combattre ; que de chemin parcouru depuis Ceci illustre également comment la lecture d'un phénomène social est étroitement lié au contexte social et historique.
L'organisation du milieu gay a été facilitée par le fait que cette communauté dispose de ressources techniques, intellectuelles et financières. Dans le milieu de la prostitution, ces ressources sont moins importantes et les personnes qui peuvent rapidement mobiliser des compétences techniques nécessaires au montage et à l'organisation des projets sont moins nombreuses. C'est pour cela que nous avons choisi une stratégie d'alliance : nous qui sommes des professionnels de santé, nous allons nous allier avec les personnes prostituées.
En nous alliant avec la "communauté", (le terme est réducteur car, en réalité, la prostitution est composée de groupes sociaux différents, de personnes d'origines variées), nous nous associons avec les personnes concernées pour pouvoir définir les besoins, pour mettre en place des objectifs et pour réaliser l'action. Au cours de ce travail d'élaboration en commun, nous avons défini quels pouvaient être les critères les plus importants pour garantir à la fois l'éthique et l'efficacité de nos actions ;
- Projet concernant les groupes les plus vulnérables.
- Implication des personnes concernées dans la réalisation du projet : c'est la demande du groupe concerné qui est la base de tout projet. La confiance va permettre l'expression et l'émergence des besoins et des désirs des individus.
- Pratique novatrice et expérimentale qui est originale par rapport aux démarches sanitaires traditionnelles.
- Mise en lumière d'un besoin non satisfait dans le cadre des institutions existantes.
- Travail de terrain action, information et formations réciproques et non par étude et recherche de type purement universitaires.
- Utilité concrète et rapide de l'action en matière de santé des personnes concernées, évaluations quantitatives et qualitatives.
- Création d'un réseau de partenaires ressources, constamment réactualisé aux besoins de la communauté.
- Coordination avec des organismes ou des groupes existants, faisant un travail identique.
- Efficacité par rapport aux sommes utilisées.
Construction d'une méthode d'intervention
(Cet aspect a été largement développé dans les rapports d'activité 96 et 97)
Un des points clés de notre démarche est de se centrer sur la personne, sur ses besoins et sur ses demandes. C'est une des transformation apportée par les associations de lutte contre le sida ; de l'approche institutionnelle, définie par un cadre et des missions (ordonnances de 60), nous nous sommes orientés vers des approches plus souples de proximité. Nous avons pris pour parti de respecter la personne quelle que soit son activité, quelle que soit son origine et quelle que soit sa situation de vie, sans vouloir la changer, mais simplement en essayant de lui apporter des outils sur le plan de la prévention de la santé et des questions sanitaires, puis, par la suite, sociales, administratives et sur les questions des droits humains et de la citoyenneté. Mais initialement, notre démarche était sanitaire.
Un autre outil et un autre axe constant de notre action, est la proximité et la mobilité : nous avons très rapidement travaillé avec ce que l'on appelle des unités mobiles d'accueil de nuit , c'est-à-dire des camping cars, la nuit.
Nous avons ouvert des lieux d'accueil le plus près possible des lieux de prostitution, et nous assurons une présence de terrain la plus étendue possible. Un des points forts de notre manière d'intervenir, c'est la notion de parité : nous avons construit nos projets à parité entre les personnes issues du milieu professionnel sanitaire et des personnes issues du milieu prostitutionnel.
Ainsi, que ce soit dans les conseils d'administration de nos structures, ou dans les équipes de terrain, et également parmi les volontaires ou les bénévoles qui intègrent les équipes, nous essayons de toujours respecter une parité entre les personnes qui viennent du milieu professionnel sanitaire et celles qui viennent du milieu prostitutionnel.
Nos associations ne rendent pas des services que l'on peut trouver dans le droit commun, mais jouent plutôt un rôle de catalyseur pour la mise en route d'une démarche de soin et de prévention pour soi et pour les autres ; les associations ont aussi une fonction d'interface et de médiateur avec les services de droit commun ou les associations qui délivrent des soins ou des services. De ce fait, elles développent un large réseau de partenaires institutionnels et associatifs.
Souvent, lorsque des personnes qui fréquentent l'association ont repris confiance et/ou ont démarré des démarches qui se sont avérées fructueuses, elles peuvent à leur tour accompagner des " collègues " dans des services qu'elles connaissent. Ceci est rendu possible parce que nous développons une forme d'accueil convivial et collectif (ce qui n'exclut ni les suivis individuels, ni la confidentialité), où la solidarité est une des valeurs mise en avant. C'est aussi un moyen de renforcer leurs propres compétences, leur confiance en soi.
Réflexions sur notre action
Il ne fait pour nous aucun doute qu'il existe un lien direct entre la situation sociale des personnes prostituées et leur capacité à se maintenir en bonne santé. Pour le dire autrement, plus les personnes se trouvent en situation de précarité économique ou de désaffiliation sociale, plus elles sont en situation de clandestinité ou de dépendance, et moins elles sont aptes à adopter des conduites préventives. Les personnes en situation d'illégalité et/ou d'extrême précarité, qui exercent dans des conditions de très grande insécurité et pour qui la prostitution est avant tout un moyen de survie sont plus que d'autres fragilisées et conduites à accepter les pratiques non protégées demandées par les clients. Il apparaît en conséquence que toute politique pouvant contribuer à faire de la prostitution une activité clandestine ne pourrait qu'avoir des conséquences extrêmement néfastes sur la santé générale des personnes prostituées.
Pourtant, les personnes prostituées sont des acteurs de prévention à part entière auprès des clients. Nous distribuons chaque années 240 000 préservatifs. On peut penser que chaque préservatif distribué, et utilisé par la/le prostitué-e correspond à geste qui s'inscrit dans un continuum d'accès à la prévention pour le client, et par conséquent pour ses autres relations sexuelles potentielles.
C'est l' amplitude de la présence de terrain qui permet aussi d'entrer en contact avec des personnes qui se prostituent irrégulièrement, et sont souvent extrêmement isolées.
Notre travail quotidien est à la fois ciblé et généraliste. Nous envisageons la personne dans la globalité de sa vie. Pour nous, la prévention n'est pas dissociée de la santé globale, qui est elle-même déterminée par des facteurs sociaux (droits sociaux, logement) économiques (stabilité des ressources) et psychologiques (lien social, estime de soi). Chaque rencontre est l'occasion d'être à l'écoute de ce que la personne nous livre ou nous demande.
Dans la mesure de nos moyens, nous orientons, soutenons dans les démarches à entreprendre.
Notre action concerne la prévention de la transmission du VIH, des MST, des hépatites, et la Réduction des Risques en matière de toxicomanie, que nous adaptons aux personnes et à leurs pratiques, et aux moyens disponibles. Il vaut mieux laisser une personne parler de ses pratiques, de ses difficultés ou de ses incertitudes, et/ou de ses prises de risque et tenter avec elle, d'adapter les modalités de sa protection et de celle de l'autre . Parler des risques que l'on prend est le seul moyen pour réfléchir à comment les réduire, c'est pourquoi l'écoute a une place primordiale dans la prévention.
Notre action sur la prévention nous amène à intervenir sur la santé dans sa globalité ; écoute des problèmes somatiques et psychologiques, diagnostics ou pré-diagnostics, conseils et orientations.
Lorsqu'une demande de soin émerge, commence alors un processus, souvent long, d'accès aux soins et de suivi de la démarche de soins. Ceci s'accompagne le plus souvent de tout un travail de longue haleine sur la restauration des droits sociaux et de consultations sociales ou accompagnements vers les services sociaux, et sur le logement : recherche du logement, négociation avec le bailleur, dossiers CAF, recherche de mobilier, soutien, écoute...). Ces processus prennent des semaines, des mois ; la réaffiliation sociale est toujours fragile, du fait de l'irrégularité du mode de vie, des difficultés que posent l'adaptation au changement, des modifications possibles du statut administratif, de la fragilité des liens sociaux, et enfin, du fait de l'insécurité lié au mode de vie prostitutionnel : insécurité physique et psychologique dans la rue, insécurité des revenus.
Le moindre arrêt à cause d'un problème de santé ou d'une agression et de ses conséquences met immédiatement en péril la situation de la personne, parce qu'il n'y a pas de relais possible en terme de ressources.
Notre action concerne aussi le soutien et l'accompagnement dans les traitements des personnes vivant avec le VIH ou avec une hépatite.
L'amplitude de notre présence sur le terrain, notre proximité, notre mobilité et un large réseau de partenaires attentifs, nous permettent de réaliser nos objectifs le mieux possible.
La plupart des subventions de nos financeurs publics ou privés ont augmenté depuis 93. Ces engagements restent cependant annuels, et nos demandes de financement doivent être argumentées chaque année, dans un contexte de réduction des enveloppes globales.