A Lyon, les prostituées rejettent l’abolitionnisme ‎

A Lyon, les péripatéticiennes sont colère, c’est peu dire. Abolir la prostitution ?
L’idée lancée le 24 juin par la ministre des droits des femmes les fait hurler. Dans
la ville où Najat Vallaud-Belkacem est adjointe au maire PS, chargée de la
jeunesse et de la vie associative, la proposition réveille des rancoeurs locales,
autant qu’elle secoue une vieille histoire. " La première chose qui lui vient à
l’esprit, c’est taper sur la gueule des putes, déplore Karen, 46 ans, porte-parole.
On va se défendre, ne croyez pas qu’on va mettre un coup de balai pour se
débarrasser de nous." Karen annonce une manifestation nationale, le 6 juillet. Un
rassemblement place des Terreaux, à Lyon, et d’autres en préparation dans les
grandes villes françaises.

Lire La France doit "se donner les moyens" d’abolir la prostitution
selon Najat Vallaud-Belkacem.

Pour les prostituées, la position abolitionniste est perçue comme une nouvelle
volonté de les reléguer toujours plus loin, de les effacer du paysage, sous un
prétexte moralisateur. Elles, sont au contraire du côté des "réglementaristes", qui
prônent la reconnaissance de la prostitution comme métier et l’encadrement de
son exercice. Borislava, 27 ans, Bulgare, croit d’ailleurs savoir que la ministre "dit
ça pour gagner des votes, mais les mecs, ils ne vont pas être d’accord". La ça pour gagner des votes, mais les mecs, ils ne vont pas être d’accord". La
France pourrait en effet pénaliser les clients des prostituées, comme c’est déjà le
cas en Suède, en Norvège et en Islande.

ARRÊTÉS D’INTERDICTION DE STATIONNEMENT DE "VÉHICULES
ÉQUIPÉS"

A 20 ans, Karen a connu les ruelles sombres. Dans les années 1990, elle a
travaillé chez Tina, bar à hôtesses très fréquenté du chic 6 arrondissement. Un
boulot de secrétaire l’a détourné un temps du trottoir, avant qu’elle retourne à "ce
vrai métier" assumé. Elle a pris le volant de sa camionnette pour se planter
derrière la gare de Perrache, où la prostitution lyonnaise s’est progressivement
concentrée, dans les friches abandonnées de la pointe sud de Lyon.

C’est ici que la municipalité de gauche s’est livrée durant dix ans à une bataille
contre la prostitution, à coups d’arrêtés d’interdiction de stationnement de
"véhicules équipés". Derrière ce banal motif juridique, il s’agissait bien de
repousser ces empêcheuses de bâtir en rond d’un secteur promis à un projet
d’urbanisme phare. En 2003, la loi sur le racolage passif de Nicolas Sarkozy,
alors ministre de l’intérieur, a accentué la tendance. PV, fourrière, descentes de
police sous l’impulsion d’un préfet énergique : "Il n’y a que l’armée qui n’est pas
intervenue !" , dit Karen. Résultat, les prostituées ont migré de Confluent à
Gerland, dans les allées de l’Artillerie, zone industrielle étirée entre boulevard
périphérique et voies ferrées.

Un peu inquiet de voir le débat à nouveau s’enflammer, Jean-Louis Touraine, 66
ans, premier adjoint du maire, Gérard Collomb, chargé de la sécurité, sait bien
que le contrôle de la prostitution dans une métropole est une question
"extrêmement difficile" bourrée de paradoxes, de fausses solutions. "Pas de
prohibition absolue ni de tolérance excessive : une recherche d’équilibre" , défend
M. Touraine, pour qui la politique municipale vise à répondre aux récriminations
des riverains, choqués par le spectacle des camionnettes et des femmes en
petite tenue au pied des immeubles et des écoles. "L’abolition pure et dure, c’est
voué à l’échec" , estime toutefois l’adjoint au maire, qui prône un mélange subtil de
"dissuasion et de pédagogie" en appelant de ses voeux des "états généraux" ,
pour que la prostitution soit l’objet d’un débat national. Tout en repoussant la
prostitution à l’écart de l’espace public, la municipalité accorde une subvention
annuelle de 30 000 euros à l’association Cabiria, très engagée dans l’assistance
aux prostituées - subvention votée par M Vallaud-Belkacem.

"LES GENS NOUS REGARDENT DE TRAVERS"

"La prostitution a toujours existé, on ne veut pas la voir parce que la société est
hypocrite", confie Evelyne, postée dans sa camionnette à Gerland. A 61 ans,
Evelyne porte toute la mémoire de la prostitution lyonnaise. En 1975, elle était
parmi les prostituées qui ont occupé l’église Saint-Nizier. Dix jours de révolte
historique, pour réclamer une reconnaissance sociale, un statut, à la grande
époque des droits des femmes. Evelyne en garde un souvenir ému : "On s’est
toutes rebellées, tout le monde était avec nous. Aujourd’hui, les gens nous
regardent de travers." Elle ne comprend pas que les féministes, qui les
soutenaient hier, se retournent aujourd’hui contre elles.

Lire Se prostituer sur Internet, un phénomène en pleine expansion.

En réponse, la ministre des droits des femmes justifie son choix : "Je ne vais pas
me mettre en tête de convaincre celles qui ont choisi la prostitution, je pense à
celles, tellement plus nombreuses, qui sont victimes de violences" , confie M
Vallaud-Belkacem, qui était en déplacement, vendredi 29 juin, à Lyon. La ministre
égrène ses éléments de langage : elle évoque "80 % de victimes de réseaux de
proxénétisme" , envisage "une conférence de consensus" , comparable aux
débats éthiques sur la santé. Mais pas question de revenir en arrière : la position
abolitionniste, "un idéal dont les voies et les moyens sont à explorer, n’a pas à
être remise en cause".

Le débat fait rage jusque parmi les associations d’aide aux prostituées. "L’abolition
fait partie des idéaux humains, des principes qui permettent aux sociétés de se
construire sur des repères éthiques", explique Daniel Mellier, délégué
départemental du Mouvement du Nid. "Une loi qui viendrait se mêler des
relations sexuelles entre adultes consentants, c’est inquiétant, c’est un retour en
arrière pour la gauche, qui avait aboli la loi pénalisant l’homosexualité" , soutient
au contraire Laura Garby, porte-parole de Cabiria.

Richard Schittly

L’état du droit en France

Réglementation en vigueur La prostitution en France n’est pas interdite mais
tolérée. Le racolage est réprimé au même titre que le proxénétisme, la traite des êtres
humains et la prostitution des mineurs. En 2003, un délit de racolage passif a été
introduit dans le code pénal. Il est puni d’une amende de 350 euros et de deux mois
de prison.
La position abolitionniste C’est la position officielle de la France. Le 6 décembre
2011, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité une résolution parlementaire qui
assimile la prostitution à une forme d’exploitation sexuelle. La résolution préconise de
créer un délit de "recours à la prostitution" contre les clients, puni d’une amende
de 3 000 euros et de six mois de prison.
Chiffres Il y aurait en France entre 18 000 et 20 000 personnes prostituées.
Majoritairement féminine, cette activité est exercée à 80 % par des personnes
étrangères originaires de Chine, des pays de l’Est et du Nigeria.

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