"Il faut lutter contre la traite, pas contre la prostitution"
Des manifestations sont organisées, vendredi 6 juillet à Lyon, Toulouse et Marseille pour protester contre l’abolition de la prostitution, prônée par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. Une quatrième manifestation est prévue le lendemain à Paris. Des prostitués et des associations de soutien s’opposent aux intentions du gouvernement et revendiquent au contraire une reconnaissance du métier.
Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et auteure de Pour qui nous prend-on ? (éditions de l’Aube) analyse pour FTVi les revendications de ces prostitués "indépendants".
Qui manifeste contre l’abolition de la prostitution ?
Janine Mossuz-Lavau : Des prostitués pour la plupart, des hommes et des femmes de plusieurs nationalités. Beaucoup de femmes françaises mais aussi des Africaines et des Chinoises. Et des hommes transsexuels, homosexuels. Ils n’ont pas du tout le même profil. Certains se prostituent à plein temps, d’autres veulent juste arrondir leurs fins de mois. C’est le cas des étudiants ou des parents. Je connais une prostituée qui ne travaille ni les mercredis ni pendant les vacances scolaires parce qu’elle doit s’occuper de son enfant. Et des étudiantes qui ne veulent pas être caissières et exercent cette activité plusieurs fois par semaine. Tous se disent consentants.
Que revendiquent-ils ?
Ils revendiquent la prostitution comme une activité professionnelle. Pour eux, ils ne vendent pas leur corps mais des services sexuels. Ils veulent la reconnaissance du métier et un encadrement légal.
Ils sont aussi contre la pénalisation du client car, à long terme, cela entraîne le développement des réseaux clandestins. Si le client se cache, la prostituée aussi. Les associations qui font un travail de prévention et se rendent sur le terrain pour distribuer des préservatifs, des seringues et des boissons chaudes n’arrivent plus à les aider. Ce qui pourrait entraîner un problème de santé publique.
Ils contestent aussi la loi promulguée par Nicolas Sarkozy en 2003 contre le racolage passif...
Parce qu’ils ont vu comment les mafias se sont développées ! Puisqu’ils ne pouvaient plus se prostituer dans la rue, ils ont dû se tourner vers d’autres endroits. C’est comme ça qu’on a vu l’explosion de la prostitution sur internet, dans les salons de massage, les hôtels, les camionnettes... La prostitution s’est étendue et l’illégalité aussi.
La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, déclare que 80% des travailleurs de la rue sont contraints de se prostituer. Ces manifestants sont-ils une minorité ?
Il me semble que oui. Mais il faut souligner qu’il est impossible de recenser les prostitués. J’ai réalisé une enquête sur la prostitution en 2003 pour la ville de Paris. J’ai connu des gens qui ont rencontré leur premier client grâce au bouche à oreille. Ils n’ont jamais proposé leurs services sur internet ou dans les journaux, et surtout, ils ne sont jamais allés dans la rue. Comment voulez-vous les recenser ?
Dans votre enquête, avez-vous établi des catégories ?
Même si tous ont des particularités, j’ai établi trois types de prostitués : les consentants ou indépendants, les contraints, et une catégorie intermédiaire qui rassemble des personnes venues des pays de l’Est. Elles arrivent en France pour gagner leur vie et renvoyer de l’argent chez elles. Mais la langue et la formation les empêchent d’avoir accès à un bon travail. Elles s’orientent vers la prostitution par nécessité.
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a annoncé aujourd’hui qu’elle préférait mettre l’accent sur des politiques publiques destinées à démanteler des réseaux illégaux et sanctionner le proxénétisme. Pour vous, c’est la bonne solution ?
C’est la meilleure solution. Mais il faut arrêter de mélanger les concepts. Si le gouvernement investit des moyens, c’est pour lutter contre la traite, pas contre la prostitution. Autrement dit, contre les relations non consenties.
Propos recueillis par Isabel Contreras