Les prostituées en conférence de presse, leur camionnette à la fourrière
Laurent Burlet pour Lyon Capitale
Hasard ou provocation ? Lundi soir, alors qu’une dizaine de prostituées de Gerland tenaient une conférence de presse contre les arrêtés anti-prostitution pris par la mairie de Lyon, la police enlevait douze camionnettes en application de ces mêmes arrêtés.
Lundi 7 juin. A 18h, une dizaine de prostituées de Gerland commencent une conférence de presse au local de l’association Cabiria, dans le 1er arrondissement de Lyon. A 18h30, rue Jules Carteret à Gerland, douze camionnettes sont embarquées par la fourrière en application d’un sixième arrêté municipal anti-prostitution pris le 17 mai (lire notre article ). Une partie de ces véhicules appartiennent aux prostituées qui sont en conférence de presse.
Une conférence de presse : une première
Depuis les premiers arrêtés pris en 2002 (voir chronologie ), c’est la première fois qu’un collectif de prostituées convoquent la presse pour faire part de leurs doléances qui sont à la fois simples et complexes.
Simples. La première demande, exprimée dans la lettre ouverte envoyée à la fin de semaine dernière aux élus de la Ville de Lyon (lire la lettre ), est d’en finir avec ces arrêtés. Une des prostituées, Evelyne, explique leurs effets pervers : « Comme ils interdisent le stationnement des camionnettes dans une grande partie des rues de Gerland, dès qu’une d’entre nous trouve un endroit qui n’est pas concerné par l’arrêté, elle y gare son camion. D’autres la suivent pour également échapper aux PV et à la fourrière. Ça crée de la concentration et après ils nous virent ». « S’il n’y avait pas d’arrêtés , poursuit Evelyne, on pourrait se disperser sur toute la ville ».
Complexes. Les prostituées interpellent les élus pour trouver une solution aux problèmes de cohabitation avec les riverains alors que les lois sur la prostitution sont extrêmement répressives puisqu’elles autorisent l’activité en interdisant toute organisation entre prostituées et sanctionnent même, depuis 2002, le racolage passif. « On demande également aux élus de se saisir de cette question politique pour abroger cette loi sur le racolage et pour permettre aux personnes prostituées de s’organiser entre elles », déclare Florence Garcia, la directrice de Cabiria.
Jusque là, aucun élu lyonnais a embrassé la cause des droits des prostituées. « On voit les politiques se mobiliser pour les sans-papiers. Mais là, il n’y a personne. Nous sommes des bêtes à abattre », lâche Maria, une des porte-paroles du collectif.
Politique municipale mise à l’index
Mais lundi, il est surtout question de politique municipale. Et pour cause. A chaque fois qu’un nouvel arrêté municipal est pris, les opérations de police (nationale et municipale) s’intensifient. Et les PV et les mises en fourrière se multiplient. Maria, 40 ans de prostitution à son actif, parle d’un « acharnement insupportable ». « On n’est jamais tranquille. Du coup, j’essaie d’aménager mes horaires pour éviter la police ». Mais elle ne veut pas partir. « Il faut défendre notre gagne pain », dit-elle.
De nombreuses autres prostituées sont parties « en brousse », comme elles disent, c’est-à-dire sur les routes nationales de la grande région lyonnaise. 170 à Perrache, elles ne sont plus qu’entre quarante et soixante camionnettes (selon les estimations) à Gerland. Florence Garcia tire les conséquences de cet éloignement : « elles sont davantage isolées et donc davantage soumises aux pressions de la police et des habitants. Et quand on est préoccupés par ces questions-là, il est plus difficile de résister à certains clients violents ou qui désirent des rapports sans préservatif ».
Les prostituées sont nombreuses à rester à Gerland, dans un périmètre où, pourtant, la prostitution en camionnettes est interdite. « Que les élus nous laissent travailler en paix ! Nous sommes des mères de familles comme les autres ! » Maria est en colère. Elle parle d’une manifestation de camionnettes place Bellecour, si elles ne sont pas entendues.
Une énième opération d’évacuation des camionnettes
Le climat se tend quand une femme débarque dans la salle de la conférence de presse : « la fourrière embarque les camionnettes ». Les téléphones sonnent, la tension monte. « Ça ne peut pas être une coïncidence », commente la directrice de Cabiria. Maria reste stoïque. Elle devra payer une nouvelle fois 136 euros pour sortir son camion de la fourrière : « On gêne tout le monde mais notre argent ne les gêne pas ».
A 19h35, après la conférence de presse, nous avons pu constater, rue Jules Carteret une opération de police nationale en train de se terminer. Elle a conduit à la distribution de 15 à 16 PV à 35 euros et à l’enlèvement de 12 à 13 véhicules, selon la commissaire du 7e arrondissement, Jennifer Lattay, qui dirige l’opération. Elle précise qu’il s’agit de la troisième opération de ce type depuis le nouvel arrêté du 17 mai. La commissaire parle également d’une opération rue Clément Marot « où neuf camionnettes, stationnant à côté d’une école maternelle, ont été enlevées suite à une extension de l’arrêté ». Ici, rue Jules Carteret, il n’y a ni habitation, ni école mais de vieux entrepôts d’une zone industrielle défraîchie.