Les prostituées interpellent Chirac
Accompagnées d’associations, elles ont rendu publique mardi une lettre ouverte au chef de l’Etat, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale.
Plusieurs associations de terrain et des prostituées venues de toute la France se sont réunies mardi 15 mars à Paris pour demander l’abrogation des articles de la loi Sarkozy pénalisant le racolage, dont elles jugent les effets "désastreux", deux ans après sa mise en oeuvre.
Réunies à l’initiative de l’association féministe "Femmes publiques", Cabiria (Lyon), Griselidis (Toulouse), Metanoya (Nantes), l’Amicale du Nid, Les amis du bus des femmes, France-Prostitution (Paris), ont rendu publique une lettre ouverte au chef de l’Etat, lors d’un colloque à l’Assemblée nationale.
Divisées entre celles qui considèrent les prostitué(e)s comme des victimes et celles qui défendent le métier de prostitué(e), ces associations se retrouvent sur les "conséquences désastreuses" des mesures contre le racolage, désormais passible de 2 mois de prison et 3.750 euros d’amende, et retrait de la carte de séjour pour les étrangers.
Eclatement des lieux de prostitution
Le déplacement de la prostitution aux confins des villes, dans les friches industrielles, dans les bois, en bordure de champs, rend la prévention plus difficile et accroît l’insécurité, selon les témoignages.
Cet éclatement des lieux traditionnels de prostitution a pour conséquence une dégradation de la situation sanitaire, à cause de la rupture des réseaux de solidarité, du rapport de force plus favorable désormais aux clients.
"Il devient plus difficile pour les femmes d’exiger le préservatif", souligne Antonin Sopena, vice-président d’Act-Up Paris. La situation est plus difficile pour les étrangères. "Elles ont peur de se faire soigner, et ne prennent pas le risque de perdre leur carte de séjour", dit-il.
"Certains clients menacent même d’appeler la police lorsque les filles leur tiennent tête, ils se sentent très fort depuis la nouvelle loi", selon une association de prévention lilloise, le GPAL-Entractes, qui a lancé une campagne d’affichage sur les bus de la ville pour mettre en garde les clients contre les rapports sans préservatifs.
Selon les prostituées rencontrées par l’association, environ un tiers des clients exigerait ce type de rapports et elles sont aussi contraintes à baisser leurs prix.
La loi appliquée inégalement
Les associations dénoncent également les inégalités dans l’application de la loi, selon les pressions des riverains ou l’origine des prostituées. Elles condamnent les "abus" de la police, s’appuyant sur le décalage entre le nombre des interpellations (7.500 en novembre 2004) et celui des condamnations judiciaires, beaucoup moins nombreuses (plusieurs centaines).
La multiplication des expulsions n’a pas découragé les réseaux, elle a au contraire "fait grimper les prix des trafiquants". Certaines associations ont constaté que des femmes, notamment issues des pays de l’Est, ont été contraintes de payer à nouveau des passeurs et des placeurs, alors qu’elles s’étaient affranchies de toute dépendance financière.
Protection des victimes étrangères
Enfin, le volet protection des victimes étrangères n’a pas rempli ses promesses. "La protection est liée à la dénonciation", mais "l’appréciation des déclarations de la prostituée est laissée à la discrétion de la police", selon la Cimade.
181 titres de séjour de 1 à 6 mois ont été attribués en 2004, selon l’association ALC, basée à Nice, coordinateur du dispositif national d’accueil et protection, mais parfois après plusieurs mois d’attente. Sans ressource pendant ce temps, certaines victimes reprennent la prostitution et se voient alors refuser le titre de séjour.